Éducatrice de profession et maman de deux garçons autistes de 12 et 14 ans, elle est détentrice d’une attestation d’études collégiales en troubles envahissants du développement, ainsi que de plusieurs attestations de formations SACCADE. Elle s’est impliquée au sein de la gouvernance scolaire ainsi que dans quelques organismes, notamment Réseau Bulle Québec et la Coalition de parents d’enfants à besoins particuliers du Québec.
Je ne sais pas pour vous, mais je suis de plus en plus lasse d’entendre certaines personnes, qui œuvrent auprès de nos enfants, claironner à tout vent que l’autisme, ils connaissent ça ! Je suis vannée d’avoir à expliquer que, quand on connaît bien le fonctionnement autistique et qu’on apprend à reconnaître leurs besoins uniques, non, nos enfants ne sont ni opposants, ni rigides, ni agressifs. Attention, je ne dis pas que cela est impossible, mais il serait bon de tenter de voir au-delà des comportements.
Par-dessus tout, je suis excédée, voire au bord du découragement, celui avec un grand « D ». Faire face à une armée de « connaisseurs » qui demeurent cimentés dans une perception tout à fait obsolète de l’autisme et tenter, debout, mais petite, avec comme seule arme les mots, d’expliquer, de traduire, de raconter. De frêles mots soit, mais qui portent un bagage d’expériences et de connaissances. Ces mots sont ceux de mes fils, ceux d’élèves, ceux d’ami(es), ceux d’auteurs. Ces mots sont ceux des autistes et ce sont, en ce qui me concerne, ceux qui ont le pouvoir de nous relater la marche à suivre.
Dans le monde de l’autisme, je suis une mère, une éducatrice, une intervenante, une animatrice, une conférencière, une cofondatrice, mais en tout premier lieu, je suis surtout un humain en apprentissage. Si je n’avais qu’un seul souhait pour l’avenir en ce qui concerne l’autisme, ce serait de cesser de croire que tous les cerveaux fonctionnent de la même manière, soit celle établie par la norme. Effectivement, je souhaite que l’humain ait assez d’humilité pour poser un regard bienveillant envers ce qui est différent et accepte d’être à l’écoute des besoins uniques des autistes. Il serait sage de cesser de ramener tout à soi et d’interpréter à tort que, si ce n’est pas comme nous, c’est nécessairement contre nous.
Fort heureusement, je connais de magnifiques personnes qui tendent le cœur et la main. Celles-là font la différence et éclairent, telles de menues lucioles, un petit chemin que peu empruntent, mais que tous se devraient de connaître. C’est suite à ces réflexions que m’est venue l’envie de vous proposer une série de billets sur ce qu’il serait d’usage de nommer la « grande méprise ». La méconnaissance du fonctionnement cognitif interne des autistes et la lecture erronée de leurs besoins font en sorte de leur faire vivre de réelles souffrances. Vos prochaines lectures, si vous acceptez de faire un bout de chemin avec moi lors des semaines à venir, traiteront de sujets qui pourraient changer vos perceptions.
Ceux qui ont l’habitude de me lire savent que je pige, la majorité du temps, dans des scènes de mon quotidien, et ce n’est pas un hasard. Je n’ai pas la prétention de parler au nom de tous les parents et encore moins au nom des autistes. Par contre, mon savoir expérientiel est riche, coloré et je crois que celui-ci n’a de sens que s’il est partagé. Avec cette série, je souhaite mettre en lumière que les autistes ne sont pas les gens que vous croyez qu’ils sont et surtout que, quand vous penserez savoir, vous vous rendrez compte que vous en savez, en fin de compte, bien peu. J’espère que vous apprécierez. Bonne lecture!
QUELLE TÊTE DE COCHON !
C’est un enfant de 5 ans. Il y a deux mois à peine, il commençait la maternelle et n’avait jamais fréquenté les services de garde. L’heure du dîner sonne, l’enfant s’assoit dans une cafétéria bruyante. Il ouvre sa boîte à goûter, déballe son sandwich pour le jeter aussitôt sur la table en se mettant à pleurer. L’éducatrice qui s’occupe du groupe essaie tant bien que mal de connaître l’origine du mal-être du petit garçon en le questionnant. Comme elle ne trouve rien, elle lui répète de manger son sandwich en le remettant devant lui, mais celui-ci est invariablement lancé plus loin sur la table. La crise s’accentue et l’enfant commence à crier et repousse physiquement l’éducatrice, qui elle, commence à s’impatienter et à se fâcher. Elle prend l’enfant par un bras pour le mettre en retrait à une autre table en insistant pour qu’il mange. Elle ajoute qu’il ne pourra aller jouer qu’après avoir terminé son sandwich.
Le bambin est en totale désorganisation. Il donne des coups de pieds à l’éducatrice et essaie de se sauver pour aller se cacher dans un coin.
-Ça suffit, t’as vraiment une tête de cochon, tu ne vas pas gagner, tu vas le manger ton sandwich!
Le responsable accourt ainsi que la technicienne en éducation spécialisée. Tous s’entendent pour dire que l’élève est agressif et que cela est inacceptable. Il y aura des conséquences à ses gestes, plus une note aux parents à l’agenda. Cet enfant a des troubles de comportement, il faudra y voir. C’est ce que nous pourrions imaginer…
LE FAMEUX SANDWICH
J’ai, à peu de choses près, assisté à une scène semblable. Heureusement, l’intervention s’est faite de manière différente. L’éducatrice du petit garçon a été à l’écoute des besoins uniques de l’enfant et avait une connaissance du fonctionnement interne de la pensée autistique.
Effectivement, le bel enfant avait refusé de manger son sandwich, ce qui était inhabituel dans son cas. À ce moment, elle observa tout ce qui pouvait être susceptible d’avoir perturbé son élève. Une surcharge sensorielle ? Un changement ? Elle observa que le sandwich de celui-ci n’avait pas été coupé en deux ce midi-là, ce qui était tout à fait inhabituel. Elle demanda à l’élève s’il voulait qu’elle coupe le sandwich, ce qu’elle fit suite au hochement de tête du bambin qui se remit à manger sans plus attendre. Je vous entends dire : ils sont comme ça les autistes, les choses doivent toujours être pareilles. Ils sont tellement rigides !
Dans cette affirmation, il y a du vrai, mais surtout du faux. Les choses doivent demeurer immuables si la personne ne sait pas qu’il peut exister différentes versions d’une même chose. Reprenons pour une meilleure compréhension, notre histoire, en empruntant la structure de pensée du bambin. Je suis petit, me dit maman. Elle me fait, à l’heure des dessins animés, une chose à manger qu’elle nomme sandwich. Ce sont deux tranches de pain blanc l’une sur l’autre et, entre le pain, il y a une chose d’une autre couleur qui goûte bon.
Mon sandwich est deux triangles. Avant, je mangeais le sandwich dans une assiette sur la table dans la cuisine à la maison. Maintenant, j’ai appris à le manger assis à la table de la cafétéria assis à côté de Gabrielle. C’est le temps de manger mon sandwich quand la cloche sonne. C’est le moment, la cloche sonne et je vais avec les autres m’asseoir à la table près du mur à côté de Gabrielle.
Je prends mon sandwich et ôte le papier transparent autour. Ce n’est pas mon sandwich ! Je ne connais pas ce que c’est ! Marie-Claude mon éducatrice vient me voir, ça ne va pas bien pour moi, je ne sais pas ce qui se passe, je veux aller à la maison voir maman. Marie-Claude se met à ma hauteur, prend la chose que je ne connais pas et elle me demande si elle peut la couper. Je fais oui avec ma tête même si je ne comprends plus rien. Oh c’est mon sandwich ! Marie-Claude m’a montré, en remettant les deux parties ensemble que ça aussi c’était mon sandwich. Ensuite, elle a fait un dessin qui me montre toutes les façons que ça peut être, un sandwich.
Les autistes apprennent par informations. Les concepts ne sont pas spontanément compris et généralisés, et contrairement aux non-autistes, les autistes ne déduisent pas toujours. Ce n’est pas par choix, c’est ainsi que fonctionne leur structure cognitive. Notre coco de l’histoire n’avait pas appris qu’un sandwich pouvait être autrement que coupé en deux sous forme triangulaire. Pour lui, se faire dire de manger son sandwich lui causait beaucoup d’anxiété et de détresse, puisque ce qui se trouvait devant lui, n’était pas un sandwich. Il ne faut pas sous-estimer l’état de détresse dans lequel peut être plongée une personne autiste lorsqu’elle est confrontée à une information qui ne fait aucun sens pour elle. Pour paraphraser Brigitte Harrisson, l’autiste n’est pas coupé de la réalité, mais du sens de l’information.
24 avril 2019 - Avez-vous déjà remarqué que lorsque votre enfant se frappe, tombe ou encore se cogne durement, la majorité du temps il n’y aura aucune réaction ? Par contre, qu’il soit question d’une minuscule éraflure ou d’un impressionnant saignement de nez, la vue de sang le mettra dans tous ses états et cela sans égard à la proportion de la blessure. Vous reconnaissez le profil ?C’est suite à un incident malheureux avec notre fils aîné que nous avons appris à ne pas nous fier aux apparences et que l’autisme pouvait brouiller les pistes quant à sa perception de la douleur. <
02 avril 2019 - C’est arrivé quelques semaines après avoir reçu officiellement le diagnostic d’autisme de monsieur Colin, alors âgé de 2 ans. Nous venions tout juste, papa Pierre, Monsieur Colin et moi, de quitter le bureau du pédiatre de la clinique de développement située au deuxième étage du CHU Sainte-Justine. Nous avions pris l’ascenseur nous menant vers le « soubassement » et nous nous étions dirigés vers le second rendez-vous de la matinée, soit notre première rencontre avec l’allergologue de fiston. Arrivés à destination, nous sommes entrés dans un bureau où un docteur, d’un âge certain, nous accueillit à peine. Monsieur Colin, fidèle à son fonctionnement, ne fit ni une ni deux et se mit en mode exploration. <